Le soleil était bas, début de soirée tardif sur un fond morose. Pas de jolies langues rose et feu pour animer le ciel, mais un coton épais et gris qui avait régné en maître toute la journée comme il était un peu de coutume en Angleterre. Avec les dernières news qui harcelaient la télévision et les journaux, l’humeur aurait dû être à la déprime. Mais Neil se sentait gonflé d’un peu plus d’optimisme que ces dernières semaines. Le Hunter’s avait résisté au barbecue organisé par la meute et si l’ambiance n’avait pas été franchement chaleureuse comme le lycan l’aurait souhaité, au moins personne ne s’était entre-tué. Cela lui avait donné un aperçu de la Meute qu’ils pourraient être et avait consolidé sa volonté à se battre. Car parfois, en voyant ses troupes éparpillées aux quatre vents, et le nombre de loups mordus qui passaient ce fichu rituel, il lui prenait l’envie de baisser les bras. L’impression de se battre contre le néant. Il n’y avait guère que sa société de construction qui tenait le choc, ironique quand on pensait que c’était le seul pan de sa vie dont les fondations n’étaient pas en train de s’écrouler sous ses pieds. Et puis il y avait Leah.
Un frisson sourd le long de sa colonne à l’évocation de la plantureuse Louve. Elle était venue à la soirée également, farouche solitaire au milieu de ses loups. Il en était toujours à marcher sur la tête avec elle. Rien que d’y penser, le fantôme du loup dans ses membres avait dressé ses oreilles, l’intérêt émoustillé. Il griffait les parois humaines de son enveloppe, pesait de son museau fantomatique sur ses mâchoires, caracolait comme un fou parmi les souvenirs qu’il chérissait. Si Neil aurait juré pouvoir mettre des mots sur le mal d’amour, il était bien en peine maintenant qu’il était livré aux tourments que la tahitienne exerçait sur lui. Et pour être tout à fait exact, il ne cherchait pas vraiment à y résister.
S’engouffrant dans sa voiture, un sac rempli des Tupperware - qu’elle lui avait prêtés - nettoyés et rangés avec soin sur le siège passager, une sourire étirant ses lippes il fit route jusqu’à son appartement. Il aurait sans doute dû l’appeler avant, parce qu’elle était ce genre de personne qui aimait garder le contrôle en toute circonstances mais maintenant qu’il était sur le chemin il avait peur qu’elle ne décline l’invitation qu’il voulait lui faire. Catapulté dans un véritable ascenseur émotionnel à chacune de leur rencontre, il s’était persuadé au bout d’un moment qu’elle le détestait. Par un enchaînement d’événements qu’il s’expliquait difficilement, elle avait tout de même fini par lui céder son prénom et planter ses crocs dans sa chair. Métaphoriquement parlant, bien entendu. Elle l’avait décrété « comme sien » en lui interdisant les flirts intermittents. Et la Bête en lui n’avait trouvé qu’à approuver, heureux de se soumettre à une autre créature pour une fois. L’hallu, de bout en bout.
Profitant d’une vieille dame qui sortait de l’immeuble il entra sans avoir à sonner. Malgré le remugle d’odeurs toujours présent dans un hall d’entrée, il lui était facile de capter les notes sucrées et suaves qui composaient l’aura de la louve et d’en avoir les tempes bourdonnantes. Il frappa de grands coups à la porte. « Leah ? C’est Neil je vous rapporte les boîtes. » Beugla-t-il juste assez pour qu’elle l’entende de l’intérieur. Il agita le sac devant l’œilleton et son sourire s’agrandit quand elle ouvrit enfin. Et c’était con, mais le peu de contrôle qu’il s’était efforcé de rassembler lui échappait déjà. « Bon sang vous êtes toujours aussi ravissante. » L’œil pétillant sur ses courbes. De derrière son dos, il sortit une bouteille de vin. « Dites-moi qu’il est bon parce que j’ai dépensé une fortune pour ce bijou… Je me suis dit que l’on pourrait parfaire un peu mon éducation en œnologie et en profiter pour discuter un peu plus sereinement… Si je ne vous dérange pas. » Un peu tard Neil pour s’inquiéter de ce dernier détail.
Une ville de fous. Voilà ce qu’est Réversa. Cinglés, tous cinglés. Ils tuent, torturent, kidnappent, piègent… Rien de plus terrible que ce qu’elle a déjà vécu, ailleurs, où chaque mot doit être soigneusement étudié, pesé, à la différence qu’ailleurs, on ne cherche pas à cacher la crasse ambiante sous le tapis.
Le climat de la ville est malsain, en raison de l’apparente normalité qu’il cherche à se donner. rédige Leah, tapant frénétiquement sur son ordinateur. Après son expérience du manoir, certaines de ses opinions s’étaient affermies. Non, la haine ne l’habite pas. Oui, elle trie toujours au cas par cas. Cependant, elle a à présent connaissance de certaines psychés versant dans les extrêmes, et sait qu’envers celles-ci, le compromis est proscrit. Petit à petit, elle couche numériquement chacune de ses impressions, chacune de ses observations et compose un rapport lourd de détails pour ses supérieurs. Elle ne l’enverra pas immédiatement cependant, car elle manque cruellement d’informations. Elle qui pensait en glaner par charrettes à son arrivée doit se rendre à l’évidence. Si les individus ne sont pas spécialement fermés à la discussion, l’approche en est beaucoup plus délicate.
L’heure est à la méfiance, à la suspicion, à la défiance… Chacun lutte pour son lopin de terre, sans aucun désir de venir en aide à son voisin, à moins que celui-ci ne lui apporte quelque chose. Les cœurs se sont fermés, la générosité et l’abnégation sont portées disparues…
Elle sursaute en entendant frapper à sa porte, et aurait probablement paniqué si la voix de Neil, reconnaissable à présent, ne s’était rapidement faite entendre. Prenant le temps de rendre à son palpitant un rythme normal, elle se dépêche d’enregistrer son rapport et de fermer ses programmes en court, de verrouiller sa session et de fermer son ordinateur portable avant de s’extirper du canapé pour aller lui ouvrir. Un petit détour par sa chambre, et elle enfile rapidement un jean. Cependant, quand son regard croise son reflet dans le miroir, ses épaules ne peuvent manquer de s’affaisser légèrement, dépitées. Ses cheveux sont propres, mais en bataille et négligemment relevés en un chignon qui ne tient que par bonne volonté et un crayon. Ses vêtements non plus n’ont rien de sensationnel puisqu’ils se composent d’un tee-shirt ample et du jean qu’elle vient d’enfiler. Quant au maquillage, il est inexistant. Quelque part, c’est déjà bien qu’elle se soit lavée. On est dimanche, et tout l’être de la louve exprime la quintessence de ce à quoi ressemble un dimanche pour une femme lambda : la flemme.
Mais, rapidement, elle se rassérène, se redresse, fière. Après tout, s’il n’est pas content de ce qu’il a en face de lui, tant pis pour lui. C’est vrai qu’elle aurait préféré qu’il la trouve séduisante mais, hey… Personne ne peut être au top tout le temps. Au moins le cas échéant ne sera-t-il pas surpris… Au réveil. C’est donc avec une ferme assurance qu’elle finit par ouvrir la porte de son appartement, le mettant limite au défi de critiquer son apparence « négligée ». La claque qu’elle se prend, en revanche, elle ne s’y attendait pas et est, pour le coup, réellement décontenancée quand c’est un compliment qui l’accueille plutôt qu’un regard dubitatif ou autre du même style. Ses sourcils s’en haussent de surprise, mais sa bouche ne peut retenir un sourire conquérant. Une main sur l’encadrement de la porte, l’autre campée sur sa taille, elle se reprend rapidement et, forte de l’impression de tenir les rênes, s’y accroche fermement. Il ne la fera pas tourner en bourrique comme ça, elle va lui montrer qu’elle n’a rien d’une petite joueuse. « Bonjour Neil. » se contente-t-elle donc de lui dire en guise de salut, chaleureuse malgré les termes basiques choisis, ne prenant même pas la peine de relever le compliment.
Il l’amuse, Neil. Il lui fait penser à un adolescent, chose qu’elle a déjà confondu avec de la bêtise, mais les évènements récents l’éclairent sous un tout nouveau jour, celui de la sincérité. Et le fait que ça soit sincère la rendait plus conciliante. Et, ce n’est qu’un détail, mais elle apprécie sa discrétion, apprécie qu’en lui demandant s’il ne la dérangeait pas et malgré sa visite impromptue, il ne regarde pas à l’intérieur de son appartement. Là tout de suite, il lui laisse la possibilité de lui mentir, de l’éconduire d’un mensonge plus ou moins diplomate si elle le veut, et elle apprécie ça, cet accord tacite, la possibilité d’avoir le choix.
Mais elle ne l’éconduit pas. Lippes étirées en un sourire en coin, elle s’empare de la bouteille et en observe l’étiquette… Un seul de ses sourcils se hausse cette fois. Une fortune. C’est extrêmement flatteur, un peu inconsidéré aussi… « Je vous en prie, entrez. » Et elle s’écarte pour le laisser passer, avant de refermer la porte derrière lui. A clé. Question d’habitude. Le devançant jusqu’à la cuisine, sur la table de laquelle elle l’invite à poser les boîtes, elle pose la bouteille sur le comptoir et passe derrière. « Vous avez gardé le ticket j’espère ? S’il est bouchonné, vous pourrez le rapporter et on vous changera la bouteille. » Ce disant, elle la repousse vers lui, sans l’avoir ouverte. « Par contre, oui, c’est un excellent vin. Et pour lui rendre justice, si vous le permettez, je vous propose qu’on ne le boive qu’avec un repas qui le mérite. Ce serait gâcher sinon. » Elle lui sourit avec douceur, et sort de l’un de ses placards l’une de ses propres bouteilles. Un vin rosé. « [color=#895959]En attendant, je vous propose de boire celui-ci. C’est un bon apéritif. » Joignant le geste à la parole, elle s’empare de deux verres et ouvre la bouteille dans un « POP » sonore, suivi d’un « glouglou » discret tandis qu’elle remplit les deux verres à pied. « Alors, je vous écoute. Que vouliez-vous me dire ? »
Wild
Insidious Poison
Free
signature par littleharleen
It's been a long day, baby. And now i need you here | Leah